« Que peut-on objecter à celui qui veut dire la vérité, et qui consent à mourir pour elle ? » (2024)

1 Grâce à Lazare Carnot (1753-1823), «l’organisateur de la victoire» la France remportait des succès et pénétrait en territoire ennemi. La Terreur ne se justifiait plus. La population était lasse de tant d’exécutions, désirait la paix et la clémence. Robespierre était contesté, accusé de dictature; au Comité de Salut public, à la Convention, son despotisme inquiétait: anciens Dantonistes et Hébertistes, mais aussi Carnot ou Billaud-Varenne, et les maîtres de demain comme Tallien, Fouché et Barras, se concertaient pour mettre fin aux excès de Robespierre. L’action fut rondement menée à la fin de juillet. Se sentant menacé, l’Incorruptible prit les devants mais son initiative se retourna contre lui. Le 8thermidor il prononça un long discours, à la fois apologie et accusation, qui dénonçait, sans les nommer, les «traîtres», et chacun se sentit visé. On redouta une nouvelle épuration de la Convention et un renforcement de la Terreur. Après la lecture de son discours, Tallien et Fouché prirent les choses en main, gagnèrent la Plaine. Le lendemain Robespierre, revenu à l’Assemblée, fut empêché de parler. Un décret d’arrestation fut aussitôt voté. Robespierre fut arrêté avec ses principaux partisans, Saint-Just, Couthon, Lebas et Robespierre jeune. La tentative d’insurrection, menée par les Jacobins fidèles, échoua. Deux jours après ce discours, Robespierre et ses comparses furent exécutés. La révolution allait changer de face.

2 Maximilien de Robespierre: Citoyens, je viens vous dire quelques vérités utiles[…]

3 Je viens, s’il est possible, dissiper de cruelles erreurs; je viens étouffer les horribles ferments de discorde dont on veut embraser ce temple de la liberté et la République entière; je viens dévoiler des abus qui tendent à la ruine de la patrie, et que votre probité seule peut réprimer.

4 Si je vous dis aussi quelque chose des persécutions dont je suis l’objet, vous ne m’en ferez point un crime; vous n’avez rien de commun avec les tyrans qui me poursuivent; les cris de l’innocence opprimée ne sont point étrangers à vos cœurs; vous ne méprisez point la justice et l’humanité, et vous n’ignorez pas que ces trames ne sont point étrangères à votre cause et à celle de la patrie.

5 Eh! quel est donc le fondement de cet odieux système de terreur et de calomnies? À qui devons-nous être redoutables, ou des ennemis ou des amis de la République? Est-ce aux tyrans et aux fripons qu’il appartient de nous craindre, ou bien aux gens de bien et aux patriotes?

6 Nous, redoutables aux patriotes! Nous qui les avons arrachés des mains de toutes les factions conjurées contre nous! Nous qui tous les jours les disputons, pour ainsi dire, aux intrigants hypocrites qui osent les opprimer encore! Nous qui poursuivons les scélérats qui cherchent à prolonger leurs malheurs en nous trompant par d’inextricables impostures!

7 Nous, redoutables à la Convention nationale! Et que sommes-nous sans elle? Et qui a défendu la Convention nationale au péril de sa vie?

8 Qui s’est dévoué pour sa conservation, quand des factions exécrables conspiraient sa ruine à la face de la France? Qui s’est dévoué pour sa gloire, quand les vils suppôts de la tyrannie prêchaient en son nom l’athéisme et l’immoralité; quand tant d’autres gardaient un silence criminel sur les forfaits de leurs complices, et semblaient attendre le signal du carnage pour se baigner dans le sang des représentants du peuple; quand la vertu même se taisait, épouvantée de l’horrible ascendant qu’avait pris le crime audacieux?[…]

9 Si on nous accuse d’avoir dénoncé quelques traîtres, qu’on accuse donc la Convention qui les a accusés; qu’on accuse la justice qui les a frappés; qu’on accuse le peuple qui a applaudi à leur châtiment. Quel est celui qui attente à la représentation nationale, de celui qui poursuit ses ennemis, ou de celui qui les protège? Et depuis quand la punition du crime épouvante-t-elle la vertu?

10 Telle est cependant la base de ces projets de dictature et d’attentats contre la représentation nationale imputés d’abord au Comité de Salut public en général. Par quelle fatalité cette grande accusation a-t-elle été transportée tout à coup sur la tête d’un seul de ses membres? Étrange projet d’un homme, d’engager la Convention nationale à s’égorger elle-même en détail de ses propres mains, pour lui frayer le chemin du pouvoir absolu![…]

11 Paraître un objet de terreur aux yeux de ce qu’on révère et de ce qu’on aime, c’est pour un homme sensible et probe le plus affreux des supplices; le lui faire subir, c’est le plus grand des forfaits. Mais j’appelle toute votre indignation sur les manœuvres atroces employées pour étayer ces extravagantes calomnies.[…]

12 On arrive à la tyrannie par le secours des fripons; où courent ceux qui les combattent? Au tombeau et à l’immortalité.

13 Quel est le tyran qui me protège? Quelle est la faction à qui j’appartiens? C’est vous-mêmes. Quelle est cette faction qui, depuis le commencement de la Révolution, a terrassé les factions, a fait disparaître tant de traîtres accrédités? C’est vous, c’est le peuple, ce sont les principes. Voilà la faction à laquelle je suis voué, et contre laquelle tous les crimes sont ligués. […]

14 Que suis-je, moi qu’on accuse? Un esclave de la liberté, un martyr vivant de la République, la victime autant que l’ennemi du crime. Tous les fripons m’outragent; les actions les plus indifférentes, les plus légitimes de la part des autres, sont des crimes pour moi.[…]

15 On veut détruire le gouvernement révolutionnaire, pour immoler la patrie aux scélérats qui la déchirent, et on marche à ce but odieux par deux routes différentes. Ici on calomnie ouvertement les institutions révolutionnaires, là on cherche à les rendre odieuses par des excès; on tourmente les hommes nuls ou paisibles; on plonge chaque jour les patriotes dans les cachots, et on favorise l’aristocratie de tout son pouvoir; c’est là ce qu’on appelle indulgence, humanité.

16 Est-ce là le gouvernement révolutionnaire que nous avons institué et défendu? Non, ce gouvernement est la marche rapide et sûre de la justice, c’est la foudre lancée par la main de la liberté contre le crime; ce n’est pas le despotisme des fripons et de l’aristocratie; ce n’est pas l’indépendance du crime, de toutes les lois divines et humaines.

17 Sans le gouvernement révolutionnaire, la République ne peut s’affermir, et les factions l’étoufferont dans son berceau; mais s’il tombe en des mains perfides, il devient lui-même l’instrument de la contre-révolution.

18 Le gouvernement révolutionnaire a sauvé la patrie; il faut le sauver lui-même de tous les écueils: ce serait mal conclure de croire qu’il faut le détruire, par cela seul que les ennemis du bien public l’ont d’abord paralysé, et s’efforcent maintenant de le corrompre.

19 Au reste, je suis loin d’imputer les abus à la majorité de ceux à qui vous avez donné votre confiance; la majorité est elle-même paralysée et trahie; l’intrigue et l’étranger triomphent. On se cache, on dissimule, on trompe: donc on conspire.

20 On était audacieux, on méditait un grand acte d’oppression; on s’entourait de la force pour comprimer l’opinion politique après l’avoir irritée; on cherche à séduire des fonctionnaires publics dont on redoute la fidélité; on persécute les amis de la liberté: on conspire donc.

21 On devient tout à coup souple et même flatteur; on sème sourdement des insinuations dangereuses contre Paris; on cherche à endormir l’opinion publique; on calomnie le peuple; on ne renvoie point les déserteurs, les prisonniers ennemis, les contre-révolutionnaires de toute espèce qui se rassemblent à Paris, et on éloigne les canonniers; on désarme les citoyens; on intrigue dans l’armée; on cherche à s’emparer de tout: donc on conspire.

22 Ces jours derniers, on chercha à vous donner le change sur la conspiration; aujourd’hui on la nie: c’est même un crime d’y croire; on vous effraie, on vous rassure tour à tour: la véritable conspiration, la voilà.[…]

23 Que peut-on objecter à celui qui veut dire la vérité, et qui consent à mourir pour elle?

24 Disons donc qu’il existe une conspiration contre la liberté publique; qu’elle doit sa force à une coalition criminelle qui intrigue au sein même de la Convention; que cette coalition a des complices dans le Comité de Sûreté générale et dans les bureaux de ce Comité qu’ils dominent; que les ennemis de la République ont opposé ce Comité au Comité de Salut public, et constitué ainsi deux gouvernements; que des membres du Comité de Salut public entrent dans ce complot; que la coalition ainsi formée cherche à perdre les patriotes et la patrie.

25 Quel est le remède à ce mal? Punir les traîtres, renouveler les bureaux du Comité de Sûreté générale, épurer ce Comité lui-même, et le subordonner au Comité de Salut public; épurer le Comité de Salut public lui-même, constituer l’unité du gouvernement sous l’autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge, et écraser ainsi toutes les factions du poids de l’autorité nationale, pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et de la liberté: tels sont les principes.

26 S’il est impossible de les réclamer sans passer pour un ambitieux, j’en conclurai que les principes sont proscrits, et que la tyrannie règne parmi nous, mais non que je doive le taire: car que peut-on objecter à un homme qui a raison, et qui sait mourir pour son pays?

27 Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Le temps n’est point arrivé où les hommes de bien peuvent servir impunément la patrie: les défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits, tant que la horde des fripons dominera.

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